J'avais quatorze ans quand j'ai fait mon premier film, un court métrage : La fille avec ses chaussures. Le metteur en scène avait l'impression que lorsque je marchais dans la rue, je dansais. C'est comme ça qu'il m'avait repéré. Quand on me demandait, à l'âge de 4 ou 5 ans, ce que je voulais faire plus tard, je répondais aventurière ! Aventurière pourmoi, c'était chanter, danser, et jouer sur les places publiques, un peu comme Molière ! Il paraît que lorsque j'avais un an et demi, je chantais Lili Marlène : cet amour du chant était donc en moi.
Qu'est-ce que ce premier film, La fille avec ses chaussures, vous a apporté à l'époque ?
D'abord, il faut dire que j'étais assez nulle à l'école, je n'étais pas plus bête qu'une autre, mais j'avais des problèmes à la maison. J'ai quand même obtenu mon certificat d'étude, en travaillant énormèment trois semaines avant l'examen ! Mais je me disais que ce n'était pas à l'école que j'allais devenir comédienne ! J'ai fait alors plein de petits boulots. Puis, on m'a proposé de faire ce court métrage. Mais après l'avoir fait, personne ne s'est intéressé à moi. J'ai alors été engagée comme élève d'illustration chez un peintre, puis je suis devenue figurante dans de nombreux films danois. J'avais réalisé que je ne pouvais pas m'inscrire dans un cours d'art dramatique avant la majorité de 21 ans, je continuais à me disputer avec ma mère, alors un jour je suis partie pour Paris.
Là, vous avez commencé à faire des photos, à être modèle...
Pour gagner de l'argent, parce que je parlais très mal le français. J'ai rencontré aussi Erich Dreyer, le fils de Carl Theodor (pour qui ma mère avait fait les costumes de Nina Pens dans Gertud). Il était correpondant politique d'un grand journal de Copenhague à Paris et m'a permis d'écrire des articles, dont il corrigeait les fautes d'orthographe ! Cela me permettait de gagner un peu d'argent. Dès que j'avais trois sous, j'allais au cinéma permanent, où je voyais les films plusieurs fois. Lorsque Gérard Philippe disait "Bonsoir Madame !" et que Gabin disait "Salut ma vieille !", je comprenais que ça voulait dire la même chose ! J'arrivais à parler à peu près bien le français et l'argot en même temps !
Mais c'est aussi en chantant des chansons que vous avez appris à parler le français !
Je chantais tout le temps, Piaf, Charles Trenet, les vieilles chansons de Marie Duhas, Fréhel, je les connaissais par coeur. Quand j'ai commencé à avoir de l'argent, j'ai travaillé avec plusieurs professeurs.
Comment a eu lieu votre première rencontre avec Jean-Luc Godard ?
Il m'avait remarquée dans une publicité pour Monsavon et voulait me faire faire des essais pour un petit rôle dans A bout de souffle, celui de la fille à Saint-Germain qui montre ses seins et à qui Belmondo pique 50 francs. J'ai refusé de me déshabiller et je suis partie.
Et il vous a rappelée plus tard pour Le Petit Soldat.
Oui. Et je me dis toujours que c'était bien comme ça. Parce que je suis sûre qu'il ne m'aurait jamais rappelée ensuite si j'avais accepté ce premier rôle. Trois mois plus tard, il me fait revenir. Il me convoquait cette fois pour le rôle principal. Quand il m'a dit que c'était pour un film politique, j'ai répondu que je n'y connaissais rien ! Il m'a répondu de ne pas m'en occuper et de faire ce qu'il dirait. Comme j'étais encore mineure, il a fallu que je demande à ma mère de venir du Danemark signer le contrat !
Et vous êtes tombée amoureuse de Jean-Luc Godard...
Il est tombé amoureux de moi aussi, sinon ça ne serait pas fait ! (rires). On s'est tourné très longtemps autour l'un de l'autre, sur le plateau. Et un soir, Jean-Luc m'a écrit un petit mot "Je vous aime, je vous attends au café à minuit, à Genève". On était à Lausanne. Je suis partie comme une somnambule. C'était magnétique. Il est devenu mon Pygmalion.
Mais le public ne vous avait pas encore découverte, puisque le film n'était pas sorti.
C'est Michel Deville qui, voyant le film en projection de presse m'a proposé un rôle pour son premier long métrage Ce Soir ou jamais. Jean-Luc était très jaloux, il me disait que je n'arriverais jamais à jouer ce rôle. J'ai fait ce film, et quant Jean-Luc l'a vu, il m'a demandé aussitôt après si je voulais jouer dans Une femme est une femme, le film qu'il préparait.
Est-ce que Godard vous parlait précisément des rôles qu'il vous proposait ?
Au départ, rien n'était écrit, sauf un petit synopsis ou une simple idée. Après, il parlait vaguement des personnages, puis écrivait au fur et à mesure. Mais on sentait assez bien ce qu'il voulait faire et dire, peut-être beaucoup plus que lorsqu'il y a un synopsis ou un scénario très écrit, et qu'on ne sait jamais ce que ça paut donner. On était entraînés, manipulés par sa pensée. Il y avait beaucoup de répétitions, même si on avait le texte au dernier moment. Il fallait que ça fonctionne comme un ballet. Godard avait ce talent d'écrire des dialogues si naturels que les gens pensaient qu'on improvisait, ce qui est complètement faux. Si on inventait une bonne phrase au tournage, comme le "qu'est-ce que j'peux faire" de Pierrot le fou, elle pouvait êtr utilisée, sinon c'était du mot à mot.
La Religieuse : Vous l'aviez déjà interprétée, mise en scène par Jacques Rivette au théâtre, avant que cela ne devienne un film.
Oui, j'avais vingt ans. Il ne pensait même pas à faire le film à l'époque, il ne l'a fait que quatre ans plus tard. Avec Jacques, il y avait d'abord le scénario, je le connaissais d'autant plus par coeur que je l'avais joué au théâtre. C'est un perfectionniste : au théâtre, au bout de deux semaines, on était toujours en train de répéter la première scène, on n'avançait pas, alors que la première de la pièce arrivait trois semaines plus tard ! On aurait pu rester six ans à répéter la première scène !
Vous avez aussi tourné pour Lucnino Visconti dans L'étranger...
Oui. J'étais encore très jeune. C'est un tournage qui a duré très longtemps, il était à la fois très sérieux, très maestro, mais très mauvais acteur par contre quand il se prenait à me donner en contre-champ la réplique dans le film. Il lisait le texte en français et ce n'était pas très bien ! (rires). On était en Algérie, il faisait très froid, et dans une scène, je devais me baigner dans le port d'Alger. A ma sortie de l'eau, personne ne m'a acceuillie avec des serviettes de bain pour me sécher, et Visconti a piqué une crise. Il était très prince, très royal, très protecteur.
Et Justine de Cukor ?
C'est un autre cinéaste qui avait commencé le tournage en Tunisie. Au bout de huit semaines de tournage là-bas, pour les extérieurs, on est revenus à Hollywood pour tourner les intérieurs. Zanuck s'est aperçu que ce qui avait été tourné n'était pas très bon. Tout a été interrompu, on est resté à Hollywood, avec voitures, piscines, villas : la grande vie ! Tout le monde était en stand-by. Et puis un jour, au bout de trois mois, on nous a informés que le nouveau metteur en scène serait George Cukor. Je trouvais cela formidable, je connaissais tous ses films par coeur ! Nous somme devenus enuite très amis.
A quel moment avez-vous décidé de faire votre propre film Vivre ensemble ?
J'en avais envie tout simplement. J'avais écrit un petit scénario, je voulais le faire pour par trop cher, je l'ai coproduit avec mon propre argent et un distributeur. Il y a eu à peine cinq semaines de tournage. Mon chef opérateur, Claude Agostini, était très bricoleur, très adroit, il avait fait un studio à l'intérieur de mon ancien appartement du Panthéon.
Je me demandais simplement, pour terminer cet entretien, si le fait d'être comédienne ne vous avait pas permide vivre une enfance supplémentaire ?
C'est vrai. Tout ce que je n'ai pas pu vivre dans mon enfance, je l'ai vécu dans le cinéma. Par rapport à tout. Jean-Luc Godard a été ma famille, il était tot ce que j'avais. A cette époque-là, par rapport à mon imagination aussi, j'ai pu m'exprimer. Est-ce que j'ai fait tout ce que j'avais envie de faire ? En gros, oui. Je pense que j'ai plutôt été gâtée. J'ai eu cette chance de connaître tant de gens dives. C'est comme cet album avec Katerine (Une histoire d'Amour), c'est un rêve d'enfant, je ne rêvais même plus de faire ça, faire par exemple des concerts partout dans le monde ! Je suis restée une enfant vous savez... Il faut aimer la vie avec le coeur et les yeux d'un enfant. C'est ce qu'il y a de plus important.
Entretien avec Anna Karina. Propos recueillis par Bernard Payen le 16 juillet 2001 et publiés dans Le Journal de la Cinémathèque numéro deux, Automne 2001.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire